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la mort de Imre Kertész

C’est sur un site d’information en langue hongroise que ce matin m’est arrivé la nouvelle de la mort d’Imre Kertesz. Le hasard a voulu que ce soit dans notre commune langue maternelle, le hongrois, que cette mort m’atteigne. Imre était aussi le prénom du frère ainé de mon père, qui lui n’est pas revenu d’Auschwitz, et fait partie de ceux qui devenus cendres dans un crematorium au milieu d’autres cadavres gazés – et non pas poussière dans une tombe individuelle selon le destin humain, qui refuse que la mort de quelqu’un puisse être anonyme – n’ont pas laissé de traces de leur passage sur terre, ni enfants, ni œuvre.

Kertesz, lui, a passé 70 ans à objecter à cet effacement – un de ses livres s’appelle d’ailleurs « le chercheur de traces » – et il faut croire que sa manière d’objecter a été spécialement vivace et juste, puisqu’elle lui a permis de ne pas devenir le déchet de son témoignage, contrairement à d’autres – Jean Amery, Primo Levi etc..- qui après avoir dit, se sont tus à jamais en se donnant la mort. Imre Kertesz, lui, n’est pas mort de la mort qui avait été prévue pour lui, et qui l’aurait rattrapé après qu’il aurait « tout » dit de l’indicible. Il est mort de la mort individuelle, commune à tous les hommes, qui arrive lorsqu’on a fini de vivre. Est-ce un effet de la décision « folle » – une bonne folie – qu’il a prise de construire son œuvre en Hongrois, langue que si peu de personnes parlent dans le monde – 6 millions en Hongrie, 6 millions en diaspora, mais voués à se dissoudre dans les langues des pays d’accueil , langue dont la littérature n’a donc qu’un nombre infime de lecteurs, alors même que la Hongrie, comme nation, est pour une grande part le produit de cette langue, et de cette littérature hongroise qui l’a portée à vouloir exister comme entité singulière ? c’est bien possible.

Le fait est qu’est mort aujourd’hui un grand écrivain, de langue hongroise, qui est aussi un grand écrivain tout court. A l’extermination qui a été prévue et mise en œuvre pour lui par sa Hongrie natale, sa mère patrie, il a répondu en donnant à la Hongrie le seul écrivain Hongrois important que le monde connaisse, reconnaisse..et lise (grâce aux traductions). Seuls quelques initiés connaissent Petöfi, Ady Endre, Madàcs, etc…, fleurons de la culture hongroise. Mais chacun , aujourd’hui, parmi les gens qui lisent, connait Imre Kertesz, et sait que c’est un grand écrivain Hongrois. Et c’est peut-être l’humour de cette situation – isomorphe à la vie dans  ce qu’elle peut avoir d’insensé, entre tragique et grotesque – qui a permis à Imre Kertesz , pour notre plus grand plaisir, vu l’interêt de ses derniers livres – hélas il n’y en aura plus..- de vivre et penser, et écrire, et travailler, jusqu’à cet âge avancé où aujourd’hui, malheureusement, il nous a quittés.

eva talineau

psychanalyste

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