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comme si de rien/témoignage et psychanalyse, par Philippe Refabert. Intervention de Eva Talineau le samedi 15 décembre à l’après midi rencontre avec l’auteur à la SPF


CREATIVITE CLINIQUE

Dans l’article qui ouvre la seconde section, « du témoignage » – » un personnage, un auteur, un acteur », Philippe Refabert nous montre ce qu’est, pour un analyste , témoigner dans l’aire de l’originaire. Non pas seulement, pour lui, reconstruire avec un patient la partie de son histoire qui n’avait pas pu s’écrire en lui et être refoulée, qui lui était arrivé sans que cela soit arrivé (faute de lieu où l’événement aurait pu s’inscrire) – Mais se prêter à devenir un morceau des archives du patient – celle dont justement celui-ci ne dispose pas – une archive vivante – et à partir de là réécrire l’histoire, autrement. René Roussillon parle de l' »analyste comme miroir du négatif de soi », et de « transfert par retournement » . Philippe Refabert est plus précis : pour lui, c’est ce qui n’a pas pu faire partie du soi qui, dans ces cures, frappe à la porte…


Une patiente qu’il appelle Christine. Il raconte comment dans le discours de celle-ci, lors du récit d’ un souvenir d’enfance qu’elle déployait tranquillement – une question inquiète qui semblait venir de nulle part « docteur, est ce grave ? » – arrive à contre temps, agaçante. Il en est agacé, un peu. Il pourrait faire comme si rien ne s’était passé, signifier à la patiente – par son silence ou autrement – que sa question est vide, que c’est une « résistance », et n’appelle pas de réponse, qu’elle doit reprendre le fil de son récit . Mais il ne le fait pas, gagne un peu de temps en faisant remarquer à la patiente que s’il répondait « non, non, ce n’est pas grave, elle n’en serait pas plus avancée. Puis il pense un peu plus loin..et convoque en esprit les proches de la patiente que les séances précédentes lui avaient déjà présentées. Parmi ces proches, il choisit la mère. Et décide, séance tenante de l’incarner : il joue , faisant irruption intempestivement sur la scène de l’analyse, son rôle : « Christine, tu vas te fatiguer, repose toi un peu. Tu veux une bouillotte ? ». Et la patiente de ponctuer « c’est tout à fait ça, jusqu’à l’intonation, sauf que c’était un lait de poule ». Ainsi, cette question inquiète qui semblait venir de nulle part, venait tout compte fait de quelqu’un, la mère de la patiente, inquiète à contre temps. Et l’agacement de l’analyste devant cette question intempestive pouvait bien être celle de la patiente enfant, interrompue dans ses jeux.


Cette mère, apprendrons nous, effractait sa fille enfant en projetant sur elle l’imago d’un frère aimé/haï, mort prématurément après une longue et douloureuse maladie. De manière intempestive, elle fondait périodiquement sur sa fille occupée à sa vie d’enfant, toute inquiétude dehors. Suit, dans cette cure, tout un matériel concernant cet oncle, les conséquences pour la patiente que sa mère aie décidé d' »oublier tout ça, car c’est le passé » – et l’aie donc gardé, ce « tout ça » comme un sequestre, à l’abri du temps qui passe, le refoulement et le retour du refoulé étant une même chose.


Quel est le sens de cette saynète ? L’analyste aurait pu intervenir en interprétant « c’est votre mère qui est inquiète comme ça », et cela aurait eu des effets aussi. Mais pas les mêmes. En étant intempestif, disruptif lui-même, comme la mère l’avait été, il convoquait au présent cette scène que la patiente avait vécue enfant ad nauseam. On ne faisait pas qu’en parler, elle était là, et cela montrait à la patiente comment elle avait donné asile à une voix, celle de sa mère, qui n’était pas la sienne . Elle a pu entendre cette voix dehors, alors qu’avant elle ne l’entendait plus, puisqu’elle l’avait prise dedans. Et aussi, pendant un moment, cette voix, l’analyste l’a portée lui-même. Quelqu’un d’autre que la patiente avait pris à sa charge, à sa place, ce morceau de mère, en avait pris une part. Elle n’était plus si seule.


Histoire charmante, et sommes toute légère (quoi que..). La suivante touche à ce qui a fait fondation pour une patiente, et le coût pour l’analyste est plus élevé. Il oublie un rendez-vous d’une patiente Roberte, suite à un changement d’heure. Celle-ci arrive, et il est obligé de reconnaitre qu’il ne peut pas la recevoir. Il s’en veut beaucoup, car étant donné les symptômes de cette patiente, c’était, avec elle, la dernière chose à faire. Or, celle-ci, à la séance suivante, semble bien prendre la chose « le comprend », ne l’accuse en rien, bref se comporte en personne civilisée. Et voilà qu’au lieu de passer, soulagé, à autre chose, Philippe Refabert décide de pousser plus loin l’investigation. Poussée dans ses retranchements, elle finit par avouer combien elle s’était sentie mal, anéantie, et que même, elle s’était heurtée le visage en reprenant sa voiture, s’était fait un hématome. Confrontée au « manquement » évident de son analyste, au lieu d’être furieuse, elle s’était meurtrie , elle, et pas lui, même pas en pensée. Configuration clinique qu’on connait fort bien. Tout cela ne laisse pas l’analyste indifférent, et pendant un bon moment, il se sent coupable. Pendant plusieurs jours, il a cette patiente en tête, et se sent mal…jusqu’au moment où changeant de perspective, il se dit que de quelque manière, il avait été convoqué par quelque chose en elle, à ne pas l’attendre. Tant de personnes, dans son histoire, ne l’avaient pas attendue, à commencer par ses parents. N’aurait-elle pas eu besoin de s’expliquer, enfin, avec l’oubli dans lequel elle avait été laissée ? lui aurait été « séduit » à l’oublier. Ainsi Philippe Refabert a-t-il accueuilli sa patiente, à la séance d’après, non pas en lui faisant part de tous ces raisonnements et cogitations, qui ne la regardaient pas, mais par cette phrase sobre et intransitive « on ne vous attendait pas », une phrase qui ne niait pas sa propre part dans ce « on » qui ne l’avait pas attendu, , mais portait au-delà. Et cela a eu un effet mutatif.. A partir de cette phrase qui condensait ce qui avait fait destin pour elle, elle s’est mise à réorganiser sa vie, sa perception d’elle même, son rapport à ses parents avec qui elle ne s’obligeait plus à jouer la comédie de leur faire croire qu’ils l’aimaient alors que cela n’était pas le cas, et que depuis toujours, rien de ce qu’elle faisait ou disait n’avait leur agrément. Son rapport aux autres qui consistait à prendre à sa charge leurs manquements a changé peu à peu. Elle a pu cesser d’être celle « qu’on n’attendait pas ».


Que s’est il passé ? L’interprétation que donne Philippe Refabert de cette séquence me semble foncièrement juste. Il dit qu’à travers toutes ces péripéties, son angoisse, sa culpabilité, ces moments où il a été occupé par elle, il a été mis « en travail » – il rappelle que « en travail » se dit à propos de l’accouchement. La patiente a vécu, sans le savoir explicitement, mais implicitement oui, une expérience qu’elle n’avait jamais connue auparavant : celle d’habiter la pensée d’un autre, et même d’en modifier le cours. La parole, si pertinente de l’analyste « on ne vous attendait pas » a eu un effet mutatif pas essentiellement d’être vraie – cette vérité, l’analyste la connaissait sûrement depuis longtemps, il aurait pu très bien la lui dire en passant, à propos d’une visite à ses parents, par exemple, sans doute se serait-elle envolée, avec la légèreté d’une bulle de savon.
Son pouvoir de transformation est venu d’avoir été « conçue » par l’analyste , entre angoisse et silence, dans l’entre deux du transfert. Dans les parages de l’originaire, où se déroulait cette cure, ne fait inscription pour le patient que ce qu’il a lui-même mis en mouvement, sans le savoir, au coeur du fonds symbolique de l’analyste.

FREUD

Passons à une autre clinique : celle-entre Fliess et Freud, avec Emma Eckstein (Irma) entre les deux.
Dans cette article « la théorie de l’hystérie grevée par la carence du témoin », il est question des circonstances de l’abandon de la « neurotica », novembre 1897, et avec elle, dans le même mouvement, malheureusement, l’abandon de la part de l’autre dans ce qui affecte le sujet.
Au coeur des remaniements théoriques, l’auteur débusque la trace des enjeux transférentiels. Il entreprend de reconstituer ce qui s’est joué entre les interlocuteurs concernés, Freud, Fliess, Irma. Pour cela, il s’appuie sur des lettres, des documents, des archives, mais aussi, et c’est ce qui fait le grand interêt de ce travail, sur les insights issus de sa clinique des patients chez qui c’est le travail du clivage, et non celui du refoulement, qui est au devant de la scène.


Qu’est ce qui rend possible ou non chez un sujet d’être témoin de ce qui arrive. A lui, à l’autre, à l’autre à travers lui, à lui à travers l’autre ? ici, l’investigation porte sur Freud jeune, entre 1893 et 1899, en train de construire la théorie de ce à quoi l’invention du dispositif clinique de la psychanalyse, qu’il avait mis en place avec Breuer, le confrontait ?
L’hypothèse de Philippe Refabert est que au cours de cette période, Freud a pris à l’intérieur de lui une part du surmoi qui gardait la « chambre interdite » de Fliess, une chambre qui devait rester inconnue pour Fliess, gardien de ce qui , mort, y gisait – et donc aussi pour Freud. Celui-ci, au clivage de Fliess, aurait fait l’appoint de son refoulement. Refoulement au sens de « refus de traduction », comme il disait lui-même en 1896 dans une lettre à Fliess à propos de l’hystérique, lettre que Philippe Refabert nous rappelle. Dans une certaine mesure, ce refus de traduction – refus par le moi de ce que sait une autre partie du moi – se serait poursuivi tout le long de sa vie

Pour illustrer ce que cela coûte, parfois, de ne pas se récuser en tant que témoin, et montrer, à contrario, ce à quoi Freud, Fliess, Emma Eckstein, se sont, chacun à leur manière, dérobés, l’auteur ouvre cet article par un récit clinique très singulier.
L’auteur/analyste, s’est endormi, à un moment essentiel d’une séance d’une patiente, nous dit-il. A elle, il ne lui dit rien. Par la suite, il se retrouve dans cette cure, pétrifié, comme une statue, inerte, en fait rongé de la culpabilité de ce sommeil qui, intempestivement, a fait trou dans son écoute. Tout un temps, il fait « comme si rien ».
A cette situation, la patiente réagit, sans rien savoir consciemment de ce qui venait de se passer, par une série de rêves, qui, de manière très précise, le concernent, lui. Ces rêves font écho avec forces détails à un moment très lointain de sa pratique débutante – il évoque cet épisode dans le prologue de ce livre – où une patiente d’alors avait fait, chez lui, une tentative de suicide gravissime en séance, et avait failli y rester, alors que, , jeune analyste, il était en analyse, et aussi en contrôle, entre autre à propos de ce cas. Cet événement, il pensait l’avoir depuis longtemps effacé de ses préocupations. En tout cas, la patiente n’avait aucun moyen d’en être informée. Sans le savoir,donc, elle répondait à ce moment où dans la séance, elle avait été lâchée, et à l’état pétrifié de son analyste qui avait suivi, en allant chercher dans sa psychê à lui, cette histoire qui pour lui avait été traumatique, et qui était bien la dernière chose à laquelle il aurait voulu que quelqu’un le fasse penser.


Ceux qui portent en eux, dans leurs archives psycho corporelles, la trace d’événements non mémorisables car n’ayant pas eu lieu – de lieu psychique – faute d’un témoin pour attester leur réalité, la rendre pour celui qui l’avait vécu, pensable – ceux qui ont été dé-testés par celui qui en un âge précoce était leur garant, leur porte-parole , selon une expression de Piera Aulagnier – sont comme des papillons de nuit attirés par la chambre interdite de l’analyste, dit élégamment, dans un autre article, Philippe Refabert.


Qu’était-elle allée chercher, cette patiente – là, dans cette chambre ? Philippe Refabert écrit qu’elle avait réuni les conditions d’une « analyse mutuelle ». Lui seul sait ce qu’il en a été. Peut-être, telle une Erynnie, criait-elle « vengeance », hurlant à son analyste, dans une totale méconnaissance du message qu’elle transmettait sa révolte et sa colère. « regarde toi, avec ta psychanalyse, tu n’as pas su y faire avec cette patiente jadis, tu l’as mise en danger, je le sais, et je te le dis, et je te le dis encore et encore avec force détails, toujours plus de détails..jusqu’à ce qu’enfin tu arrives à me dire à moi quelque chose, à moi qui n’arrive même pas à ressentir que je suis anéantie d’avoir été lâchée ce jour là, qui en meurs de me cacher à moi-même ce que je vis, incapable que je suis de l’assumer en première personne. Y aura-t-il un jour quelqu’un capable de répondre de ce que je ne sais même pas me dire, et que je te dis en mon absence ? ». Etait-ce là, la question qu’elle ne pouvait poser qu’en passant par l’autre, en forme d’analyste, qui était alors, son partenaire ? quoi qu’il en aie été, son appel a été entendu, et de quelque manière, analyse mutuelle ou autre chose, l’analyste ne s’est pas récusé comme témoin de ce à quoi il avait pris part.


Cette patiente n’a donc pas eu le destin d’Emma Eckstein, dont Philippe Refabert, dans cet article, donne des nouvelles. Celle-ci fut, finalement, frappée d’astasie-abasie et s’est cloitrée dans sa chambre, après avoir un moment travaillé comme psychanalyste après sa « cure » avec Freud – un Freud sous le contrôle de Fliess, celui qui avait bousillé son opération du nez, et qui dictait à son ami comment couvrir l’erreur médicale qu’il prétendait ne pas avoir commise. Je ne sais pas si il a été déjà relevé qu’après tout, c’était la première cure sous contrôle. Philippe Refabert fait remarquer avec humour, qu’il est dommage que Freud n’aie pas pu lui dire qu’elle « ne marchait plus » (dans ces combines). Qui sait, cela aurait pu « marcher ».


En donnant sa confiance à Fliess, en le constituant comme adresse pour ses découvertes, Freud ne se doutait pas qu’il était en train de se constituer prisonnier « d’une cage qui attendait un oiseau », selon l’expression de Philippe Refabert, reprise de Kafka, pour désigner la condition de l’enfant qu’un parent  » mort-vivant », qui se survit à lui-même, fait pour s’y blottir, s’en envelopper, alors que lui-même a perdu son dynamisme existentiel.
Il dira plus tard à Ferenczi cette parole si ressassée, d’avoir su, contrairement au paranoïaque, « agrandir son moi » à la suite de la perte d’un « investissement homosexuel ». C’est Fliess qu’ il désignait comme « paranoïaque » – par parenthèse, il serait peut-être plus juste, s’il faut en passer par un diagnostic, de considérer celui-ci, comme un pervers. Un tel propos, dans le registre de l' »explication » – un peu comme Fliess qui avait inventé un système qui expliquait un peu tout, le vivant, le psychique, le nez, la sexualité, l’animé, l’inanimé – est un effet de refoulement. Il vient en place du travail de pensée qui l’aurait conduit à se faire témoin de ce qui lui était arrivé avec cet autre, de ce qui était arrivé à cet autre avec lui.


Philippe Refabert dit que si Fliess a « séduit » Freud – il dit de lui que c’était un « don juan de la science » – c’est de lui avoir offert, à un moment où celui-ci était à la fois plein de doutes sur ce qu’il pouvait créer et habité par un incroyable foisonnement créatif, une figure de mère idéale, le soutenant inconditionnellement, exempte de tout doute quant à la valeur de son propre travail, se présentant comme habité d’une totale certitude. Don Juan, pour l’auteur, est une des figures de celui qui a subi une « agonie psychique », qui présente quelque part dans ses archives psycho-corporelles, n’a pas faute de témoin avec l’appui de qui traduire « ce qui s’est passé » d’inscription sémiotique. De tels êtres, pour lui, sont des « négationistes » d’un massacre qu’ils ont eux-même subi, qui les a rendus étrangers à eux-mêmes et aux autres, même s’ils arrivent à nouer « une manière de commerce » avec eux, dit-il.


M’est venu, dans le fil de la lecture de cet article, l’idée d’aller fouiller un peu, voir si je ne trouverais pas quelque chose concernant les enfants de Wilhelm Fliess. J’avais derrière la tête l’idée que de la vérité profonde de tels êtres, leurs enfants sont les premiers témoins. Et en effet. Est-ce exact ? « testis unus, testis nullus ».. il faut rester prudent. . Mais il se trouve qu’un des fils de Wilhelm Fliess, Robert Fliess était devenu psychanalyste. Parlant à Masson, celui des archives Freud, qui a écrit ce livre sur l’abandon de la théorie de la séduction qui s’appelle « la vérité escamotée », il lui aurait dit, d’après celui-ci, que lorsqu’il a eu 4 ans, son père un jour l’a violenté très durement. J’ai recherché son année de naissance : c’est 1895, il a eu 4 ans en 1899. C’était un moment où Fliess ne pouvait que sentir qu’inexorablement, Freud s’éloignait, qu’il allait perdre son influence sur cet être qui, sans s’en rendre compte, le nourrissait de sa vitalité, de sa créativité qui elle était vraie, de son élan existentiel non détruit.

Qu’est ce qui a été caviardé dans le « grand rêve » de Freud, celui qu’il a soumis à Fliess, qui l’a censuré, censure qu’il a acceptée, puisque c’est un autre rêve, substitué à celui-ci qui figure dans la Traumdeutung ? Philippe Refabert relève que le matériel que Freud amenait concernait surtout son propre père, sa faillite, la dèche, le découverte des failles de celui-ci (à propos des femmes, notamment « Rebecca, enlève ta robe, tu n’es plus fiancée », ce qui, comme on sait est une allusion à une précédente épouse avant Amalia, la mère de Freud). Il pense que son audace à se retourner ainsi sur les siens, à exhumer ce qui aurait du rester caché a réveillé en Fliess des résistances liées au fait que lui-même ne voulait surtout pas s’interroger ainsi. C’est possible.


Une autre hypothèse pourrait être que vu l’intensité de leur relation, et la divination inconsciente qu’amène avec elle l’amour, des rêves de Freud auraient pu contenir des aperçus qu’il ignorait transmettre de la chambre interdite de Fliess. Fliess aurait pu le percevoir. Le clivage n’assure pas à qui en a la charge, la sécurité qu’apporte la méconnaissance permise par le refoulement. Fliess aurait pu ne pas supporter que non pas des images de lui, mais un savoir sur lui, puisse circuler. Et, on pourrait même se riquer à penser – s’appuyant sur la clinique des passages à l’acte – qu’un tel dévoilement, violent, déstabilisant brusquement le clivage, aurait pu être propice à induire chez cet homme, « négationiste » de toute ombre, un attentat sur son fils…


Que ce soit l’une ou l’autre hypothèse qui rende le mieux compte de cette censure, on connait tous les conséquences de cette scène originaire où les protagonistes ont manqué, chacun à leur manière de se faire témoins de ce qui leur arrivait pour l’histoire de la pensée psychanlytique. Inutile d’y revenir encore.

DOTATION MATERNELLE ET PHALLUS

Cet article métapsychologique a le grand interêt d’essayer d’articuler la pensée de l’auteur concernant le refoulement originaire avec celle de Lacan. Faire communiquer deux univers de pensée si différents est une gageure, et lorsqu’elle est tenue, ne serait-ce qu’un peu, il en nait un peu plus de lumière, et avec elle, de nouvelles questions –

L’article précédent celui-ci, dans le recueil, traitait de la matrice psychique transitionnelle, et la question du fétiche y était amenée à la fin. Philippe Refabert le définit comme substrat matériel de cette instance partagée – la matrice psychique transitionnelle – qui s’est précipitée en une chose, suite à une catastrophe. Cette catastrophe a eu comme effet que l’autre, qui jusque là, garantissait en gardant une image de l’enfant dans sa psychê, son sentiment de continuité d’être, brusquement n’a plus assuré cette fonction.
Précisons : il ne s’agit pas de deuil, en cas de deuil, l’enfant peut, au bout d’un temps, accepter que cette fonction soit assurée par un autre. Le deuil fait perdre un lien, pas la capacité de se lier. La formation du fétiche, tel qu’en parle Philippe Refabert, est une des réponses possibles au fait que le potentiel de croyance , de confiance, a été détruit en quelqu’un. C’est une issue possible au fait d’avoir été comme chassé du monde par la dissolution d’un lien indissoluble.


Pour l’illustrer, c’est d’ailleurs une histoire de trahison qu’invente l’auteur. Il imagine l’inimaginable, une fiction où Héraclès expliquerait à Philoctète, que non, il ne lui a jamais donné d’arc magique – celui qui donne à Philoctète sa valeur pour les Grecs – que d’ailleurs il ne le lui a pas donné, mais prêté, et quelle importance, cet arc, il fait bien des histoires pour rien, il n’a qu’à le prendre, lui ou un autre, c’est pareil , etc…Bref, le parent du futur fétichiste, ce serait un parent qui nie son propre don, et jusqu’à cette négation même. Non pas un parent englouti dans une catastrophe, maladie ou mort, mais un parent qui dans une sorte d’horrible retournement devient un non garant, le contraire du parent, une figure de la perversion. A cet impensable, à ce suicide du parent en tant que parent, répond dans le sujet, de manière fulgurante, soit le clivage, soit la création. Fondation vicariante ou création d’un espace où le sujet se donne dans une oeuvre à venir l’assise dans l’être perdue. Bien sûr, à l’arrière plan, Kafka..


Dans cet article « dotation maternelle et Phallus », la question du fétiche est reprise et approfondie. Ici, l’auteur propose de considérer le fétiche comme substitut de l’enfant lui-même, ersatz de son âme restée inanimée après un attentat meurtrier. Le fétiche condenserait en lui et le souvenir de l’événement et son effacement, et le fait d’y avoir survécu, au prix de la mort de son âme qui fut un jour vivante.


Dire les choses ainsi, que le fétiche symbolise et l’attentat meurtrier et l’enfant laissé pour mort met en tension son propos avec l’article de Freud de 1927 sur le fétichisme, où celui-ci dit que le fétiche symbolise et la présence, et l’absence du pénis chez la femme, et la terreur qui a provoqué l’arrêt sur image. Il reprend le paradoxe à son compte – un objet symbolise et une chose et l’absence de cette chose – mais pour le contenu de ce qui est symbolisé, il contredit Freud.


A partir de cette question du fétiche, qui pour lui n’est pas l’objet métonymique de l’absence du pénis maternel, mais une sorte de monument aux mort avec lequel sont célébrées des orgasmes funèbres, Philippe Refabert met au travail la question du refoulement originaire, la reprend au point où Lacan l’a laissée, et essaye, avec bonne volonté, d’y articuler sa pensée actuelle sur le sujet.


Un rappel de notions familières . Pour Lacan, la naissance du sujet se fait à partir d’un trauma fondateur – pour tous – qui viendrait de ce que l’enfant serait appelé à combler le désir de la mère, le signifiant inconscient de son désir, qu’il appelle « penisneid », mais devrait, pour ex-ister, s’y refuser. Il est appelé à l’ être, à être, par ce désir énigmatique, mais dans le même temps, convoqué par ce désir même, à ne pas être, à être un  » être de non-étant », puisqu’appelé à s’égaler à ce signifiant sans signifé mais matrice de toute signifiance, le phallus maternel. C’est une des thématiques sur lesquelles le lyrisme de Lacan s’exerce volontiers..


Pour Lacan, il ne saurait y avoir de sujet que du rejet vers l’extérieur, vers le monde, de ce premier signifiant sans signifié qui a été la première demeure du sujet, l’index du rêve maternel qui l’a appelé. L’opération du refoulement originaire est pour Lacan le rejet primordial ,hors de soi, de ce qui avait été la maison de notre âme.
Ce rejet crée d’un côté le sujet – avec au coeur de lui le trou qu’a laissé cette opération – de l’autre, le réel, dans lequel le sujet, désormais cherchera ce fragment d’être, de jouissance maternelle, qu’il y a rejeté, donnant par là même au monde une valence libidinale de porter potentiellement des fragments de cette jouissance.


Le refoulement originaire ainsi conceptualisé est un acte du sujet – en fait un acte qui crée le sujet, et même un acte par lequel le sujet se crée en tant qu’être en jet, toujours un peu étranger à lui-même d’avoir à chercher de ses nouvelles là où il n’est pas. Par la suite, ce schéma se complexifie, connait des exceptions, la mystique, la jouissance féminine pas-toute-phallique etc..mais dans l’ensemble, les grandes lignes restent.


A noter que cette construction sert d’étayage à certaines conceptions lacaniennes de la cure psychanalytique – pas toutes – pour laquelle la « réussite » d’une cure se juge au passage de l’analysant à l' »être sujet » ainsi défini, censé redoubler dans la cure ce choix premier et oublié d’un « non » à une jouissance dont le retour, d’ailleurs impossible, annulerait son existence. 
Philippe Refabert propose de considérer que le Phallus n’est pas le signifiant primordial, mais le signifiant premier. Pour lui, avant cette opération du refoulement primaire qui, pour Lacan, fait tomber ce signifiant premier, le Phallus, dans les dessous, et donne sa coloration libidinale au monde, il y a eu, en tout cas dans le cas de la normalité, d’une relative normalité, un autre refoulement. Il appelle refoulement primordial ce temps premier, immémorable, et pose comme hypothèse que le refoulement primaire, décrit par Lacan en serait le successeur.


Alors que dans le schéma lacanien, c’est le sujet qui en quelque sorte se crée lui-même, par son « non » à être le Phallus – c’est à dire rien ni personne  -ce « non » se concrétisant pour lui dans les développements sur le « Nom du Père » –  dans le refoulement primordial tel que Philippe Refabert le pose ici, c’est la mère qui est l’agent. Pour lui, le refoulement primordial, c’est le contre-investissement par la mère de la trace de la mort, que d’abord elle avait objectée dans l’enfant, contre-investissement qui permet à celui-ci, peu à peu, de se constituer un « soi » – une parcelle d’être inaliénable à partir de laquelle il peut faire face aux joies et aux vicissitudes de l’existence. La mère a pris sur elle la négativité, il peut, lui aussi, l’intégrer sans en être détruit. C’est ce refoulement primordial, voué à l’oubli, qui donne son énergie au refoulement primaire, qui, pour l’auteur, pourrait en être le successeur.


Cet article cherche donc à articuler le « soi » de Winnicott , tel que Philippe Refabert l’approfondit, avec le « sujet » de Lacan. Est ce possible ? c’est une question.


Dans la suite, d’ailleurs, Philippe Refabert resitue cette question du trauma fondateur, d’une jouissance qui serait intrinsèquement meurtrière pour le sujet dans son champ à lui, celui du refoulement primordial, de la dotation maternelle. Il fait remarquer très justement à mon avis, que cette menace d’être englouti, de  faire un,  n’a rien d’universel, mais est l’effet d’un défaut de ce refoulement primordial, du côté de la mère. Pour lui, ce n’est que dans cette situation là que l’infans a à se produire lui-même comme sujet, répondant alors à ce que Philippe Refabert appelle une « passion d’indifférence maternelle ».
Pour le dire autrement : certaines femmes voient en leur enfant d’emblée l’autre qu’il est. D’autres les pondent à la chaine, dans une sorte d’emboutissage phallique, au regard duquel ils s’équivalent les uns aux autres.


Quoiqu’il en soit, même si cette dernière remarque clinique réduit quelque peu la prétention d’universalité du modèle lacanien du refoulement originaire, tel que repris de Gérard Pommier ici par Philippe Refabert – cette conversation est intéressante, et mérite d’être approfondie. Et la richesse de l’oeuvre de Lacan est que parfois, il oublie d’être lacanien.

CONCLUSION.
Chacun des articles de ce recueuil mériterait d’être déplié et discuté. C’est un plaisir de travailler à partir d’une pensée d’une telle rigueur. Mais il y a une autre chose pour laquelle je voudrais remercier l’auteur : c’est pour la force et la tension qui animent son écriture, sa manière unique de communiquer cette signifiance insignifiable qui crée la réalité, et qui est si chère à son coeur lorsqu’il la rencontre chez d’autres – Celan, Maldiney

eva talineau
psychanalyste
22 rue du tertre 95000 cergy
evatalineau@orange.fr


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