TRAITS

TRAITS – (AME)

TRAITS – tirés – ni à bout portant, ni à boulets rouges  – pour la plupart  en accompagnement, et en préparation, du séminaire de Daniel Sibony 2012-2013-2014 dont le thème est « dictionnaire vivant de la psychê » . Ce ne sont pas des cours, mais des parcours, via un certain nombre de notions, visitées de manière concise, aucun de ces TRAITS ne vise à l’exhaustion, ni à récuser les points de vue…autres.

TRAIT N° 1 : AME  (16/03/2013)

Dans l’Etre et le Néant, Sartre dit que l’âme est un « mythe », dont la Science récuse l’existence. Curieuse idée de l’existence, déjà, que la sienne, s’il pense qu’un « mythe » n’a pas d’existence. Pas besoin d’aller chercher « l’efficacité symbolique » de Levi Strauss du côté des peuples sans histoire. Chacun connait cette histoire où un esprit fort discute avec le curé de son village, et soutient, en libre penseur, que « l’âme n’existe pas ». » Très bien, » rétorque le curé astucieux « alors je t’achète la tienne ». L’esprit fort, pris au mot, accepte, empoche la somme, et rentre chez lui. Puis il tombe malade. Ses relations avec sa femme se dégradent. Son fils se met à fréquenter des voyous et la récolte de pomme de terre gèle dans la terre alors qu’il n’a pas fait si froid. Finalement, n’y tenant plus, il va voir le curé, lui rend son argent, et exige que celui-ci lui restitue son âme, dont il a dit qu’elle n’existait pas. Fin de l’histoire.

De tous temps, les humains ont senti qu’ils vivent à partir d’un souffle qui les traversant les anime et donne vie à leur corps, sans pour autant leur appartenir. Le mot « âme » vient de « anima » qui en latin signifie « souffle », ce qui insuffle la vie, et qui n’est donc pas la vie nue. En grec, « psychê » a un sens voisin. A la fois « âme » et « souffle ». Et ce souffle, de toujours, a été attribué à « ailleurs », « autre », ce à partir de quoi est née l’idée philosophique de transcendance qui installe cet ailleurs …au loin, hors d’atteinte.

L’un des premiers livres traduits de Gaetano Benedetti sur la schizophrénie s’appelle « la mort dans l’âme » – titre pas très bien choisi, du fait peut-être d’une maladresse de traduction, vu qu’il s’agit, dans la schizophrénie de la mort DE l’âme, ou de la non-naissance de l’âme  ; c’est le mélancolique qui vit « la mort DANS l’âme », son âme existe, mais elle est morte, ou comme morte, parfois sans même qu’il le sache s’il a su mettre en place des contre-investissements qui permettent d’aménager son non-lieu d’être.  Schreber – schizophrène paranoïde – écrivait avoir subi « un meurtre d’âme ». Et il existe des corps sans âme. Dans les pavillons de défectologie des hôpitaux psychiatriques, on les appelle maintenant MAS, certains êtres errent, avec des besoins physiologiques humains, mais sans âme, faute de cette connexion inaugurale avec autre qu’eux – de cette connexion, je parlerai dans le TRAIT suivant, sur ATTENTION FLOTTANTE  – Dans cette condition, ils  peuvent  devenir chaise, ou bouton , ou poignée de porte, ou n’importe quel  objet réel, y compris un collectif parfois,  qui assure leur continuité d’être. Ils ne se masturbent pas, ils sont leur masturbation. Ou leur alimentation. Ou leur défécation. Sans un point extérieur à eux incarné dans un autre  à partir duquel leur âme aurait pu naitre et leur donner leur corps et leur structure, ils n’ont ni corps ni structure.

Une âme vivante est une surface de contact sensible avec le monde et avec les autres. Un organe réactif et en éveil. Daniel Sibony dit que c’est, en nous, l’organe de l’amour, et cela me semble juste, à condition de spécifier qu’il s’agit de l’amour Inconscient, celui qui passe à travers nous sans forcément qu’on en aie connaissance, sauf à quelques instants ténus et singuliers qui nous laissent tout surpris. On lit un texte autant avec son âme que son intelligence. Dans les psaumes attribués au roi Salomon, il y en a un qui dit « nous avons une petite sœur qui n’a pas de seins ». Des tenants de la tradition hassidique y ont vu l’annonce de la Science profane « sans âme », pensaient-ils. L’absence d’âme est de manière intéressante métaphorisée par eux comme  un manque d’incarnation charnelle « pas de seins », comme si ceux qui ont écrit ces psaumes avaient une connaissance intuitive qu’on prend âme en même temps qu’on prend corps, que c’est d’avoir une âme qui donne un corps. On pourrait aussi y lire une critique de l’intelligence lorsqu’elle devient folle, se prenant pour sa propre fin, et croyant être sa propre origine, une critique de la « théorie », notamment analytique, qui à force de sophistication, devient parfois une sorte de machine à produire des concepts.

Lacan a beaucoup ironisé sur « la belle âme », celle boursoufflée qui se gargarise d’elle-même, et dont les envolées compatissantes, le soi-disant amour des autres, n’est qu’infatuation et hypocrisie, bien faite pour masquer des appétits de jouissance qui en seraient « la vérité » cachée. Rien de bien nouveau dans ces propos « lucides ». La Rochefoucaud, déjà, n’était guère complaisant sur les travers ordinaires des humains. Molière aussi savait dire quelques vérités sur nos comédies intimes et sociales,  et en allant chercher du côté de Plaute, déjà….Mais Lacan a tout de même innové.  Dans certains de ses textes,  il  a fait un pas de plus que les contempteurs ordinaires des désordres du monde – lesquels sont d’ailleurs bien nécessaires à l’ordre du monde tel qu’il va.  Dans l’un de ses derniers séminaires, Les Noms du Père, séance du 11 juin 1974, à la suite d’un passage où il critique l’idée de certains  biologistes que « la vie serait l’ensemble des forces qui s’opposent à la mort », il donne sa définition de l’âme….c’est un crabe, dit-il (entendons un cancer). Un cancer, un chancre, du fait de « lalangue », qui est ce qui pour lui tient lieu d’altérité, nous enchaine…à la chaine du savoir inconscient, ce à travers quoi à son avis, l’humain « ek-siste » d’avoir été soustrait, par ce « lalangue » à la jouissance totale de la Chose. Les constructions théoriques sont des prises de position qui créent une réalité. Faire de l’idée d’âme, de souffle de vie, un cancer , c’est peut-être un des points des créations lacaniennes sur lesquelles on peut se dispenser de le suivre.

eva talineau

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Une réflexion sur “TRAITS – (AME)

  1. A fascinating discussion is worth comment. I believe that you ought to publish more about this subject, it may not be a
    taboo matter but usually people don’t speak about these
    subjects. To the next! Cheers!!

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